Lille, Ste Marie Madeleine
Sommaire
Édifice
Église consacrée en 1707. On l'appelait "la grosse Madeleine", pour la distinguer de Ste Marie Madeleine à La Madeleine (commune qui jouxte Lille, au Nord-Est). Elle fut fermée au culte en 1969 "pour des raisons de sécurité", puis désaffectée en 1989, et convertie en musée, salle d'exposition et de concerts occasionnels. Elle est réouverte au public depuis 2004, mais sa restauration est toujours en cours.
L'église est composée d'un chœur sous coupole, entouré d'un déambulatoire circulaire donnant sur trois chapelles, celle du fond étant la plus importante. A son opposé se trouve la tribune de l'orgue, au-dessus de l'accès principal. Cet ensemble architectural peu courant est particulièrement agréable à l’œil. On peut avoir des réserves sur le résultat musical, sans doute assez "nimbé" de réverbération. L'orgue étant en ruine et les manifestations musicales rares, il est difficile d'en juger, d'autant plus que l'espace entre le chœur et la chapelle du fond est obstrué par une sculpture contemporaine (un énorme tas de bidons en inox, soudés les uns aux autres).
Historique
Communication de M. Colombier, janvier 2011 : Joseph Guédon dans sa Bibliographie de facteurs d'orgues français et étrangers (ed Encyclopédie Roret, Paris, 1903) dit dans l'article sur François-Joseph Carlier : Parmi les quarante orgue neufs qui établirent la réputation [d'Aimé-Joseph Carlier ou François-Joseph, ça semble confus], on peut citer... [l'orgue] de la Madeleine à Lille.
François-Joseph Carlier, facteur d'orgue né à St Amand les Eaux en 1787, s'est fixé à Douai en 1808, et aurait construit les orgues de N.D. d'Arras en 1841. Le style du buffet évoquant le début du XIX° siècle, sa paternité est probable. Le facteur lillois Jean-Godefroid Gobert aurait travaillé sur un orgue dans cette église avec son fils Théophile Jean Philippe, en 1775. Le dictionnaire ne précise pas de quel niveau d'intervention il s'agit. Le devenir de cet instrument antérieur est donc obscur.
En 1854, Delezenne, membre de la Sté des sciences, des arts et des lettres de Lille, relève un diapason de 797,3 Hz (398,6), sans préciser à quelle température. Il s'agissait donc bien de l'ancien orgue.
Le 19 août 1891, Edouard &Théophile Delmotte envoient au curé de La Madeleine un "devis sommaire" comportant deux propositions : l'une pour un orgue de 21 jeux (dont trois transmis) pour 14 250 Fr., l'autre pour un instrument de 24 jeux (dont quatre transmis) pour 15 250 Fr. Ces deux projets comptaient deux claviers et pédale transmise, et comportaient une traction mécanique. Aucune suite ne leur semble avoir été donnée.
La reconstruction de l'instrument a été attribuée en septembre 1894 à Pierre Schyven, pour 34 000 Francs. Ce dernier aurait réemployé onze jeux de l'orgue précédent, qui aurait subi une intervention quinze ans auparavant, soit vers 1880 [source : monographie paroissiale]. L'orgue fut bénit le 5 décembre 1895 par l'archevêque de Cambrai - pour mémoire, Lille n'est devenu le siège d'un évêché qu'en 1913. Les experts désignés par le conseil de fabrique étaient : Louis Rosoor, organiste de la cathédrale de Tournai et 1° prix du conservatoire de Bruxelles ; Gustave Meyer, organiste à St Martin de Roubaix ; Frédéric Lecocq, professeur d'harmonie au conservatoire de Lille ; Alphonse Jouglet, organiste à St Sauveur (Lille) ; Alphonse Gadenne, organiste de La Madeleine (Lille). Récital inaugural jeudi 5 décembre 1895 par MM. Rosoor, Meyer et Gadenne. La dernière pièce fut une toccata de Meyer par lui-même.
Les soufflets (pompes à pieds pour deux souffleurs) ont été d'emblée doublés d'un moteur à gaz, dispositif encore expérimental à l'époque, conçu et fourni par Rossel (Lille), qui coûta 2800 Francs supplémentaires. Un devis de relevage a été présenté en 1930 par la maison Coupleux. Il s'agissait de remplacer les tubes et ressorts en laiton (oxydés) par des tubes en plomb à l'antimoine d'un diamètre plus important (8mm au lieu de 6mm) pour améliorer l'attaque, et de fournir des ressorts en bronze phosphoreux.
L'instrument de Schyven a été démantelé à une date inconnue, pour servir à la construction de l'orgue de la salle Lannoy du Conservatoire de Lille. Il avait déjà dû souffrir quelques avanies, comme en témoigne un forumiste que je remercie vivement :
"Dans les années 1970 (mais avant 1976) j'avais lu dans le journal local qu'une nuit, un quidam a été arrêté par la police, tirant derrière sa mobylette une charrette pleine de pièce de métal. Interrogé sur l'origine de ces matériaux, il avait avoué avoir volé des tuyaux de l'orgue de Ste Madeleine pour la revente du métal.
Si mes souvenirs sont exacts, le journaliste avait fait un commentaire sur la différence de prix entre tuyaux d'orgue et matériaux, ainsi que sur la perte d'un patrimoine suite à l'abandon du lieu."
Buffet
Le buffet est antérieur à la reconstruction par Schyven. Lors de l'intervention de Schyven, la tribune a été avancée d'un mètre cinquante sur la moitié de son étendue, l'addition reposant sur deux colonnes nouvellement fournies. Le buffet du grand orgue a été surélevé, et celui du positif de dos abaissé pour faciliter la diffusion de la voix des chanteurs.
Les modifications de charpente ont été exécutées par Desmedt et Dhalluin. Les sculptures supplémentaires (notamment la statue de Ste Cécile) ont été fournies par Édouard Buisine. Tous les tuyaux de montre conservés ont été passés à l'aluminium par Turpin-Buisine, qui a vernissé les buffets [source : monographie paroissiale].
Disposition des sommiers
Au fond du buffet, à hauteur du plancher de tribune : le positif au centre, la pédale sur les deux côtés. La soufflerie est devant le positif, et surmontée du grand orgue (sommiers diatoniques). Le récit est au-dessus du positif, donc derrière le grand orgue.
État actuel
L'orgue est en ruine, bien que la façade donne le change.
Le buffet ancien est à peu près complet. Le positif de dos est, comme souvent, devenu postiche. Le plafond du buffet a été supprimé (existait-il ?) pour loger la boîte expressive du récit et les plus gros tuyaux de pédale. Les côtés du buffet ont été étendus, à l'arrière, pour y placer les sommiers de pédale. Le buffet semble remonter au XVIII°, les modifications ayant sans doute été réalisés par Schyven.
L'emplacement des souffleries manuelles est encore visible : deux souffleurs, de part et d'autre du buffet, actionnant deux pédales et deux manches. Une soufflerie électrique a été installée postérieurement à la reconstruction de Schyven.
La partie instrumentale est celle de Schyven. Il s'agit d'un instrument entièrement pneumatique, de trois claviers et pédalier, avec console indépendante faisant face à la nef. Il ne reste plus, actuellement, qu'une console mutilée à laquelle il manque les claviers et le pédalier, ainsi que les couvercles et la moitié des porcelaines de registres. Cette console commandait un sommier de grand orgue situé derrière la façade, placé un étage au-dessus de la soufflerie (deux réservoirs à plis parallèles). Au fond du buffet, le sommier du positif intérieur (non expressif) est au sol, à peu près au niveau de la soufflerie, et surmonté de celui du récit expressif. La pédale est disposée sur deux sommiers séparés, de part et d'autre du positif.
De la tuyauterie, il ne reste que la façade en zinc, à peu près complète, certains tuyaux ayant été déposés à l'intérieur de l'orgue. Il reste aussi les tuyaux de la contrebasse 16 et les pavillons de la bombarde 16 de pédale. Les pavillons en bois, en pyramide inversée, et ont été sommairement entreposés après "prélèvement" des pieds et des anches.
Il reste aussi, apparemment, quelques tuyaux en bois derrière la montre.
Le système pneumatique : tubulures, relais, soufflets, est à peu près complet et n'a pas été endommagé lors du démontage. Bien que l'état de conservation soit bon, il ne peut évidemment fonctionner (nombre de soufflets de notes sont endommagés). Les sommiers, d'assez belle facture (ceintures en chêne...) semblent en bon état. L'ensemble correspond à peu près au "système Weigle", que l'on trouve aussi à l'orgue Puget de Gruson, par exemple. En revanche, Schyven avait, dit-on, développé un "procédé propre, sans être, comme certains de ses concurrents, sous la dépendance d'un autre facteur" [source : monographie paroissiale]. Un adroit contournement de brevet, sans doute.
Un orgue pneumatique de Schyven contemporain de celui-ci, et sans doute de construction très similaire, est en bon état de marche : il s'agit de l'orgue de Lambersart, St Calixte.
Particularités
Le pédalier disparu était probablement très concave, si sa forme épousait la disposition des cuillers de combinaisons, en arc de cercle.
Les deux bascules, au-dessus du pédalier, sont celles de la boîte expressive (légèrement déportée vers la droite) et celle d'un crescendo (tout à fait à droite). Il s'agit d'un crescendo mécanique ; la pédale actionne plusieurs cadres oscillants en bois qui, à leur tour, actionnent les tiges reliant le tirage de jeux (sans affecter la position des "touches" de tirage de jeux, qu'elles soient relevées ou abaissées). Ce système permet l'introduction progressive des jeux, selon la position des "noyaux" placés sur les tiges.
Le positif n'est pas expressif, et il n'y a aucune trace de boîte autour du sommier de positif, ni de commande de boîte expressive.
Composition
Elle n'a pu être relevée complètement, nombre de porcelaines étant manquantes. Les manquants sont en italiques, recopiés de la composition donnée par l'inventaire des orgues du Nord (inachevé, mais certaines pages furent disponibles en ligne). On y relève certaines caractéristiques de Schyven, p.ex. la quinte 6' (5 1/3) au positif.
Composition de l'orgue Schyven (1895) de Ste Marie Madeleine, Lille | |||
Grand Orgue | Positif intérieur | Récit expressif | Pédale |
Montre 16 | Principal 8 | Bourdon 16 | Contrebasse 16 |
Bourdon 16 | Salicional 8 | Bourdon 8 | Sousbasse 16 [*] |
Montre 8 | Flûte 8 | Dolciana 8 | Octavebasse 8 [*] |
Gambe 8 | Bourdon 8 | Voix céleste 8 | Violoncelle 8 |
Bourdon 8 | Quinte 6 | Flûte harm. 4 [sic] | Bombarde 16 |
Flûte harmonique 8 | Flûte harmonique 4 | Flûte octaviante 8 [sic] | Trompette 8 |
Prestant 4 | Doublette 2 | Flageolet 2 | |
Fourniture V | Clarinette 8 | Carillon 2 [rgs] | |
Cornet V | Cor anglais 8 | Piccolo 1 | |
Bombarde 16 | Fourniture IV | ||
Trompette 8 | Basson & Hautbois 8 | ||
Clairon 4 | Trompette harmonique 8 | ||
Voix humaine 8 |
Manuels : 56 notes ; Pédale : 30 notes 10 pédales d'accouplement, 14 boutons de combinaisons. Expression récit, crescendo.
[*] orthographe telle que sur les boutons en porcelaine
Organistes
(pas avant 1869) ...1879... : Hippolyte Leduc
1889 - toujours en 1912 : Alphonse Gadenne
Photos
Sources
Dictionnaire des facteurs d'instruments de musique en Wallonie et à Bruxelles du IX° siècle à nos jours (P. Haine et N. Meeùs, Pierre Mardaga éd.).
Témoignage oral.
Échanges sur le forum "Organographia".
Mémoire R. Servais concernant la Manufacture Delmotte.
Journal de Roubaix 08/12/1895